Quelle est la stratégie de Salto pour exister sur le marché très concurrentiel de la SVOD ? Quels obstacles rencontrent ce rookie français du streaming vidéo par abonnement ? Quelles sont ses chances face aux géants internationaux du marché ?
En pleine crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, initialement prévue pour le premier trimestre 2020, le lancement grand public de la plateforme streaming est repoussé à l’automne prochain. Un pré-lancement aura toutefois lieu le 3 juin prochain mais il sera réservé uniquement à une part réduite d’utilisateurs. Outre le contexte sanitaire défavorable, Salto a souffert d’un parcours semé de multiples embûches…
Un démarrage difficile
Lenteurs administratives et Covid-19
Le chemin vers la mise en place de Salto fut un chemin sinueux. En mars 2019, Delphine Ernotte déplorait la lenteur des processus administratifs nécessaires à l’autorisation de démarrage du service Salto. « Ce n’est pas la faute de ces deux institutions, c’est la faute de nos structures qui sont lentes », avait détaillé la présidente de France TV. « L’autorité européenne a quand même mis 6 mois à dire que c’était finalement à l’autorité française de se prononcer… En attendant, Netflix a gagné quoi ? Environ 1 million d’abonnés ? » ajoute-elle.
C’est finalement le 12 août 2019 que Salto a eu le droit d’exister officiellement. Jusqu’ici, il a fallu lancer le processus de création d’une entité à part de M6, TF1 et France Télévisions, choisir l’entreprise en charge de développer la plateforme d’un point de vue technique, recruter les équipes compétentes pour porter le projet…
Tout cela pour un objectif de pré-lancement retardé et officialisé pour le 3 juin 2020 par Thomas Follin, directeur général de la plateforme. Le 3 avril, Salto confirme dans un communiqué que ce lancement ne « serait pas accessible à tous les Français et Françaises » comme prévu. En cause : les retards et reports de tournages et doublages rendant difficile la mise à disposition d’un catalogue conséquent été 2020. Depuis la mi-mars, la population française doit respecter des règles de confinement induits par la pandémie de coronavirus, ce qui met à l’arrêt une partie des productions audiovisuelles. Le souci d’offrir le service le plus abouti et fonctionnel possible au public amène Salto à user du temps estival pour arriver plus fort à la rentrée septembre voire à l’automne.
Delphine Ernotte se réjouissait en 2019 de pouvoir composer avec Salto « cette équipe de France de l’audiovisuel ». Mais cette formation tant attendue peut-elle faire aux acteurs internationaux telles que Netflix, Amazon Prime video ou encore Disney +, arrivé fraîchement sur le territoire français ce début avril ? Salto souhaite se positionner comme offre « d’appoint » et non de substitution à Netflix. L’ambition reste tout de même d’envergure, pour un champ d’actions relativement réduit.
Juste une offre d’appoint à Netflix
En France, il y a aujourd’hui plus de 17 millions d’usagers de plateformes de SVOD. La SVOD fait, à n’en plus douter, partie intégrante, des usages des français. Salto compte donc profiter de cette propension des français à consommer des contenus à la demande régulièrement. Mais ces derniers sont-ils réellement prêts à opter pour un abonnement Salto à la place d’un Netflix, ou en renfort à Netflix ou OCS par exemple ?
Salto se présente comme une forme hybride de SVOD permettant à la fois de visionner des contenus de flux de chaînes gratuites, des programmes en replay, et bien sûr des films et séries en exclusivité. Salto a encore beaucoup de chemin à parcourir pour parvenir à être une offre cohérente « d’appoint (…) que les gens ont envie de prendre en complément », comme l’a décrit Delphine Ernotte, réaliste sur le fait que le service français n’a pas les épaules pour venir concurrencer des mastodontes comme Netflix et ses 6 millions d’abonnés dans l’hexagone. Le prix de l’abonnement sera fixé entre 2 et 8 euros, ce qui reste relativement accessible, mais il est difficile encore d’évaluer la disposition à payer des utilisateurs français pour Salto, le catalogue du service étant encore inconnu.
French is the new American ?
L’un des arguments les plus martelés depuis les origines du projet est le « made in France ». Salto fera la part belle aux créations originales tricolores. Toutefois, il n’est plus vraiment certain que cela lui permette de se démarquer autant que souhaité. La production locale est aussi tendance chez les géants du secteur.
Les créations originales Netflix locales sont en plein effervescence. Dans une stratégie de développement local, pour mieux rencontrer les publics, Netflix s’agitent dans les relations de proximité avec les producteurs et les talents locaux, pour offrir aux consommateurs français le contenu le plus approprié. Netflix l’a prouvé récemment avec ses séries françaises Marianne, Mortel, Family Business ou Plan Cœur, Fary : Hexagone et Prime Video prend la même direction (Love Island, spectacle de Fabrice Eboue). D’ailleurs, la firme de Jeff Bezos s’est montrée dernièrement disruptive en proposant sur sa plateforme le film Forte de Katia Lewkowicz , dont la sortie cinéma n’a pas pu se faire en raison du confinement imposé par l’épidémie Covid-19.
Même si l’on observe ces derniers temps un regain d’intérêt du public français pour les productions locales (Dix pour Cent, Skam…etc), ce qui fait le succès des grandes plateformes SVOD, ce sont les séries phares proposées, Casa de Papel et Stranger Things pour Netflix ou encore Game of Thrones pour OCS.
Dans cette mesure, n’est-il pas mal venu ou plutôt tard venu pour Salto de se positionner dans le « made in France » pour les Français quand les mastodontes américains s’appliquent à cette démarche depuis déjà un certain temps ? Il en faudra donc davantage à Salto pour démontrer son avantage concurrentiel et l’originalité de son positionnement.
Un financement modestement ambitieux
Les groupes audiovisuels à l’origine du « Netflix à la française » se montrent généreux en financement, ce n’est pas 45 millions initialement annoncés qu’ils ont déployé mais 135 millions d’euros qui serviront le lancement de Salto. Outre ce montant initial, Salto compte investir 250 millions d’euros supplémentaires, générés par ses futures recettes entre 2020 et 2020. Si le nouvel acteur du streaming y parvient, une portion non négligeable de cette somme devrait être dédiée aux créations originales.
Un investissement qui de prime abord peut paraître colossal, mais qui reste modeste en comparaison aux montants injectés par la concurrence. En 2019 par exemple, Netflix a injecté plus de 9 milliards de dollars dans la production de ses créations originales, dont plus d’une centaine de millions en productions françaises. Netflix se situe certes dans le même ordre de grandeur que Salto en terme d’investissements français, mais n’oublions pas que le catalogue Netflix disponible en France ne se limite pas qu’aux productions françaises… En effet les contenus phares les plus attrayants de Netflix restent américains ou espagnols.
Par ailleurs le capital injecté dans les productions hexagonales se verra sans doute augmenter avec le temps. D’autant que le gouvernement veut obliger les plateformes spécialisées dans les films et séries, comme Netflix et Amazon, à investir au moins 25 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France dans la production d’œuvres françaises ou européennes.

OTT : la fausse bonne idée ?
Salto est un service prévu pour une diffusion en OTT. OTT signifie over-the-top, c’est une manière de proposer des contenus sans passer par le canal d’abonnement des FAI traditionnels (fournisseurs d’accès à internet) comme Free, Orange ou SFR. « Ce projet est très stratégique : nous voulons avoir un accès direct aux consommateurs. » confie Nicolas Tavernost, président du groupe M6.
Les box restent cependant un point d’entrée fréquent vers les services de vidéos à la demande, ne serait-il pas ainsi handicapant, de choisir le positionnement OTT. Ce à quoi le patron de M6 rétorque que « tous les téléviseurs vendus sont connectables (par Wi-Fi à l’Internet) aujourd’hui ».
En revanche, Salto restera accessible sur :
- Ordinateurs
- Tablettes
- Mobiles (Android et iOS)

Nain international, mais géant national : double tare
L’Autorité de la concurrence a beau avoir validé le projet de Salto, elle a mis de nombreuses limites à sa création, afin d’éviter tout risque de pratique anticoncurrentielle ou d’abus de position dominante sur le marché. Car n’oublions pas que si Salto paraît insignifiant aux côtés de Netflix et consorts, il regroupe malgré tout trois acteurs des plus puissants du paysage audiovisuel français… Parmi ces limites, on retrouve :
- L’interdiction à France Télévisions, TF1 et M6 d’en faire de la publicité gratuite de Salto sur leurs antennes ;
- L’obligation de transmettre les flux des chaînes TNT contre rémunération envers les autres distributeurs (Orange, SFR, Canal, Molotov, Free, etc), et de manière « non discriminatoire » ;
- L’obligation pour les trois groupes initiateurs de Salto de limiter les exclusivités sur Salto en évitant de ne pas trop libérer les droits de leurs contenus originaux
- Les programmes stars des chaînes initiatrices de Salto (Plus belle la vie, ou Cash investigation) seront les grands absents du service.
- À la demande de l’Autorité de la concurrence, seuls 40 % des contenus disponibles sur Salto (en volume horaire), hors films, pourront provenir des trois groupes français, ce qui signifie qu’ils devront investir dans l’achat de droit de diffusion de nombreux contenus européens et internationaux.
Quels atouts ?
Plus qu’une simple agrégation des contenus de TF1 / M6 / France TV
Salto pourra certes profiter du rayonnement des programmes de ses chaînes-mères, mais elle se considère avant tout comme une entité à part entière, misant sur l’originalité de son offre. Delphine Ernotte a insisté sur le fait que Salto aura « beaucoup de programmes qui seront strictement » exclusifs à la plateforme, et qui seront censés lui permettre de briller convenablement en tant qu’offre de SVOD complémentaire. Selon Delphine Ernotte, « le jour où Salto va arriver, il n’y aura plus de débat. Car on verra sur la homepage à quel point ce sera différent d’une simple agrégation des offres mères. ».
Bye bye algorithme de recommandation, retour à l’humain
Salto veut faire dans le local mais aussi dans l’artisanal. La plateforme veut mettre fin au règne de la tyrannie de l’algorithme de recommandation qui en fonction des contenus visionnées, en propose d’autres à l’utilisateur qui pourraient lui plaire. Le service français prévoit de réintroduire de l’humain dans le processus de recommandation avec des métiers, des humains, responsables de l’éditorialisation des contenus. Salto adopte ainsi un positionnement davantage axé sur la précision et l’aspect qualitatif du service. C’est un atout non des moindres qui pourrait vivifier son attractivité. Capitaliser là-dessus est un moyen de se démarquer et compenser un catalogue moins dense et attractif au lancement que la concurrence.
Au vue des divers obstacles cités précédemment, Salto ne part pas favorite dans cette rude compétition qu’est le marché de la SVOD. Toutefois, prévu pour l’automne, le lancement grand public du service, est envisagé en grandes pompes : recrutement de rédacteurs et d’ « influenceurs » sur les réseaux sociaux pour assurer sa promotion, et faire des recommandations de contenus aux abonnés potentiels. Le rookie français de la SVOD s’active et réserve peut-être des surprises, le pari pour se faire une place, aussi petite soit-elle, reste encore à gagner… Salto arrivera-t-elle à rencontrer son public ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite.