Réseaux sociaux, ces nouveaux outils politiques

Les données personnelles de 80 millions d’utilisateurs du réseau social Facebook ont été extraites de façon illégale, ce qui aurait favorisé la l’élection du présient Donald Trump. L’affaire Cambridge Analytica révèle que les réseaux sociaux sont devenus des instruments (géo)politiques.  Mais pourquoi, au juste, les Etats s’y intéressent-ils autant ?

Les réseaux sociaux ont connu leur essor en 2004, avec le lancement de Facebook par Mark Zuckerberg. D’abord conçu pour les étudiants de Harvard, Facebook s’est vite étendu à l’international. Les Etats n’ont pas tarder à remarquer un tel outil permettant de toucher une audience extrêmement diverse. Les États-Unis étaient les premiers à introduire la nouvelle forme de diplomatie dite “numérique”  qui se passe en principe sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook. Les Etats rejetant l’hégémonie occidentale sont vite entrés dans le jeu en intensifiant les communications sur leurs réseaux locaux. Mais plus précisément : quel intérêt les États tirent-ils de ces nouvelles formes de communication ?

Étendre l’influence à travers les frontières.

Pendant l’administration Obama, les réseaux sociaux sont devenus des outils de “smart power”. Initialement, ce concept est destiné à “reconquérir l’autorité morale perdue par les Etats-Unis au cours des années Bush, » – rappelle Thomas Gomart, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Aujourd’hui, cette stratégie de communication qui s’adapte aux interlocuteurs présents sur les différentes plateformes permet à l’Etat d’optimiser son jeu d’influence.

Selon Tristan Mendès, cette pratique est facile à identifier: “Lorsque la communication d’un acteur public se fait dans une langue étrangère, il est évident qu’il cible une audience extérieure”. Par exemple, en France, le ministère des Affaires étrangères a plusieurs comptes sur Twitter : @francediplo est son compte principal, mais il dispose également des comptes @francediplo_EN (en anglais), @francediplo_AR (en arabe), @francediplo_ES (en espagnol), @francediplo_DE (en allemand) ou encore @francediplo_RU (en russe).

Par ailleurs, la Russie a considérablement investi dans les réseaux sociaux durant le récent conflit ukrainien. Ayant développé sa présence sur les plateformes américaines (Twitter, Facebook), elle l’a également fait sur ses réseaux sociaux nationaux comme VK, qui surclasse Facebook en Russie, ou même sur les réseaux chinois Weibo. Par exemple, le communiqué du porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Alexandre Loukachevitch, a critiqué fermement la position américaine sur son compte Twitter. Le diplomate russe s’est dit outré par le fait que les Etats-Unis tentent de « donner une interprétation unilatérale des événements en Ukraine, ignorant complètement les troubles provoqués par les nationalistes radicaux ». La publication des citations du communiqué de Loukachevitch ont été même traduites en chinois, sur le compte Weibo de l’Ambassade de Russie en Chine.

Le phénomène des « filter bubbles » ou “ Je ne connais personne qui ait voté pour lui »[1].

Contrairement aux modes de communication traditionnelles, les réseaux sociaux n’instaurent aucun rapport hiérarchique entre émetteurs et récepteurs. La mise en circulation des informations est dictée par les recommandations individuelles produites au sein des communautés.

Les entreprises qui gèrent ces plateformes sociales ont tout intérêt à affiner leurs outils de personnalisation afin d’améliorer l’expérience utilisateur, pour mieux accroître les ventes d’espaces publicitaires. Les réseaux sociaux n’ont de cesse de perfectionner les algorithmes de personnification de façon à offrir à l’internaute une sélection d’informations supposée lui correspondre. En apparence, cette pratique permet de proposer à chacun un contenu plus proche de ses préférences. En réalité, elle participe à la constitution et à l’auto-alimentation de filter bubbles : puisque chaque nouvelle recherche est biaisée par les recherches précédentes, nous ne sommes qu’exposés à des contenus conformes à nos opinions. Chacun se trouve enfermer dans un cercle précis. Les algorithmes empêchent le changement d’habitudes et l’ouverture à des points de vue différents : il s’agit d’une forme de désinformation.

Big data, le nouveau graal pour les Etats

Selon UFC-Que Choisir Facebook, Twitter et Google, s’autorisent à collecter, modifier, conserver et exploiter les données personnelles de leurs utilisateurs et de leur entourage sans leur accord. « Vous êtes l’objet de publicité ciblée mais, en outre, vos données peuvent faire l’objet d’une exploitation commerciale [ ou autre ] sans votre accord exprès et sans le moindre centime », – précise l’association de défense des consommateurs.

L’essor des supers applications en Chine (WeChat) – dont Facebook s’est inspiré avec le rachat de Messenger ou WhatsApp – pose également la question du contrôle des données personnelles de ses utilisateurs. WeChat réunit non seulement les données bancaires et la localisation géographique de ses usagers mais compile également leurs habitudes, leurs goûts, leurs fréquentations et leurs relations privées.

Revenons donc au cas d’actualité qui nous a servi d’introduction à cet article, celui de Trump / Kogan- Cambridge Analytica / Facebook. Le problème réside notamment dans le fait qu’Alexandre Kogan et Cambridge Analytica ont recueilli illicitement les données de 50 millions d’utilisateurs Facebook qu’ils ont ensuite utilisées à des fins de profilage électoral, créant une base de données soumise à l’équipe de campagne de Donald Trump. Grâce à un test “psychologique” devenu viral sur Facebook, l’entreprise a réussi à acquérir une connaissance fine des utilisateurs de Facebook et à concevoir des messages électoraux personnalisés jouant sur leurs préjugés, leurs peurs et leurs goûts.

Toutefois, ce n’est pas si simple que ça. Les plateformes qui sont à l’origine de ces réseaux sont aujourd’hui confrontées à des pressions importantes de la part de son audience qui compte environ 3 milliards (!) d’internautes partout dans le monde. Ainsi, dans le cadre d’un appel au boycott #deletefacebook , Mark Zuckerberg était obligé de présenter ses excuses (de nouveau) au public.

Afin de rassurer ses utilisateurs, de nombreuses plateformes, surtout les messageries, sont en train de passer au chiffrement des données personnelles, c’est-à-dire à la mise en place d’un système où seul le détenteur d’un mot de passe peut accéder aux données.

Cependant, les forces publiques voulant garder la main sur les plateformes n’hésitent pas à pratiquer la censure – notamment au sein des régimes autoritaires comme la Chine ou de la Corée du Nord. Récemment, les autorités russes ont demandé à Telegram de livrer ses clés de chiffrement. Pavel Dourov, le cofondateur de la messagerie, n’a pas tardé à réagir sur Twitter: « Les menaces de bloquer Telegram s’il ne fournit pas les données personnelles de ses utilisateurs n’auront pas de résultats. Telegram défendra la liberté et la confidentialité ».

Ainsi, se pose la question suivante : les réseaux sociaux vont-ils demeurer des outils politiques ou vont-ils prendre les choses en main et devenir d’authentiques acteurs responsables pour sa communauté d’utilisateurs? Selon Adrienne Charmet, de la Quadrature du Net : « Il y a clairement eu un renforcement du discours de sécurisation de l’utilisateur, car il y a eu une perte de confiance de certains d’entre eux. Mais il reste difficile de savoir ce qui se fait véritablement derrière. C’est uniquement déclaratif ».

[1] On fait référence à la citation de Pauline Kael qui concerne la victoire de Richard Nixon aux élections de 1972.

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