Les français considèrent aujourd’hui leur mobile comme une extension de leur propre corps, un outil indispensable qui les accompagne partout et à tout moment de la journée. Par exemple, 59% des utilisateurs de mobile français consultent leur téléphone dans l’heure qui suit leur réveil, et 16% dans les 5 minutes suivant leur réveil. Consultés tout au long de la journée, les smartphones sont devenus de véritables mines d’or pour les régies publicitaires, notamment spécialisées dans les publicités en ligne. Sur applications ou directement sur internet, les publicités sur mobile sont partout et suivent les mobinautes pas à pas. Mais sont-ils réellement satisfaits de l’expérience utilisateur proposée par les éditeurs de publicité sur mobile ? Dans quelle mesure la publicité sur mobile détériore-t-elle l’expérience des mobinautes, et les pousse à installer des bloqueurs de publicité ?
La publicité sur internet est devenue le 1er média européen selon l’Autorité de la concurrence, avec des investissements de 36,2 milliards d’euros en 2015 devant la télévision, avec 33,3 milliards d’euros.[1] En France en 2016, les investissements dans la publicité en ligne s’élevaient à 3 453 millions d’euros[2], soit 7% de plus qu’en 2015. L’avancée du digital face à la publicité télévisuelle se confirme donc, puisque les investissements publicitaires online représentent aujourd’hui près de 30% des investissements globaux, contre 28,1% pour la publicité télévisuelle.[3] Même si l’essentiel de la croissance est généré par le « display », qui offre une avancée exceptionnelle de 14,5% vis-à-vis de l’année précédente, le « search » reste le levier le plus exploité avec 1 893 millions d’euros investis.[4]
Mais cette explosion de la publicité en ligne, notamment sur mobile, devient de plus en plus compliquée à supporter pour les mobinautes, qui sont majoritairement de jeunes adultes ou des adultes[5]. Sur internet, la publicité ne connaît pas de frontières et les internautes se montrent de moins en moins réceptifs à cette offre à la fois pléthorique et intrusive. Selon un sondage mené par le CSA en 2016[6], 83% des français se disent « irrités » par la publicité en ligne.
Pour Alexandre Joux, Directeur de l’Ecole de Journalisme et de Communication d’Aix-Marseille, « le marché de la publicité en ligne a très vite rencontré ses limites quant au degré d’acceptation des internautes ».[7] En effet, ceux-ci ne se montrent pas fondamentalement opposés à la publicité, puisqu’il s’agit de donner de son temps et de son attention pour pouvoir accéder gratuitement à un contenu. Cependant, le caractère profondément agressif de ces formes de publicité, en particulier les fenêtres pop-up ou encore les interstitiels, les amène progressivement à se protéger en utilisant des bloqueurs de publicité. Car il s’agit non seulement d’une intrusion dans leur navigation, mais également dans leur vie privée : grâce aux cookies aujourd’hui présents sur tous les sites et applications, les internautes sont suivis partout. Ainsi, peu étonnant que l’on nous propose une publicité sur notre mobile pour quelque chose que nous venons de consulter en ligne sur notre ordinateur ou notre tablette… Une impression peu agréable de surveillance publicitaire qui déplaît particulièrement aux mobinautes et internautes.
En effet, selon une étude réalisée par Bonial, 94% des utilisateurs considèrent les bannières publicitaires comme inutiles ou contre-productives. De plus, 89% des mobinautes français estiment cliquer par erreur sur les bannières publicitaires.[8] Les publicitaires voient Internet et ses possibilités comme un nouvel Eldorado, mais auraient-ils finalement tort ?
Nous constatons que chaque année, un peu plus d’internautes installent un bloqueur de publicité, et ce pour différentes raisons, telles que :
- Le caractère intrusif et interruptif des publicités
- La sécurité sur leur terminal et la peur des virus ou logiciels malveillants
- Le trop grand nombre de publicités
- Le ralentissement du chargement des pages web dû aux publicités
- Le désir de protéger sa vie privée et ses données personnelles, mais également ses données de navigation
En France, 34% des internautes sont équipés d’un Adblocker sur leur ordinateur[9], mais encore très peu sur smartphone. D’autres pays, comme l’Inde ou la Chine par exemple, concentrent la majorité de l’installation d’Adblock non pas sur ordinateur mais sur smartphone.
Selon l’étude intitulée « The State of Blocked Web » publiée par PageFair début 2017[10], plus de 600 millions d’appareils électroniques possèdent aujourd’hui un bloqueur de publicité, et 62% de ces appareils sont des téléphones mobiles. Si le bloqueur de publicité sur mobile n’existe que depuis janvier 2015, son évolution est fulgurante. En moins de deux ans, le nombre d’utilisateurs a plus que doublé.
Malgré un essor très timide en Europe et en Amérique du Nord des Adblocker sur smartphones, il est probable qu’un accord entre les fabricants de terminaux et les créateurs de logiciel bloquant la publicité puisse accélérer de manière exponentielle le nombre de personnes utilisant un Adblock sur leur smartphone. Qu’en pensent donc les principaux acteurs du monde des terminaux et logiciels mobiles aujourd’hui, à savoir Apple avec iOs et Google avec Android ?
AdBlock face aux grands acteurs web et mobile
Pour les utilisateurs, Adblock est autant un moyen de protéger leur terminal que d’éviter la publicité trop intrusive. En effet, la publicité en ligne permet aux virus de se propager, mais aussi d’interrompre l’expérience de l’utilisateur, de ralentir le temps de chargement des pages et de prendre de la bande passante. De nombreux aspects négatifs pour les utilisateurs en somme.
Cependant, le géant du web Alphabet, plus connu sous le nom de Google, se nourrit de cette publicité, qui lui rapporte 74,54 milliards de dollars en 2016.[11] Et il n’y a pas que sur les sites que les Adblock font rage, mais également sur les pages des moteurs de recherche où se trouve la publicité payante. Pour éviter de perdre une trop grande partie de ses revenus, Google est donc contraint et forcé de rémunérer l’entreprise Eyeo GmbH ou AdBlock, pour faire partie de sa liste blanche. Un montant déterminé au cas par cas pour des publicités jugées acceptables ou non par la société bloquant les publicités. Un système qui revendique une prise de pouvoir des utilisateurs, mais paradoxalement très opaque pour eux quant à son fonctionnement.
Sur Android et sur iOS, AdBlock a lancé des applications pour faciliter la navigation des mobinautes. Lorsque l’on sait que la publicité sur mobile s’apprête aujourd’hui à dépasser les investissements sur desktop[12], soit 99,3 milliards de dollars pour le mobile contre 97,4 milliards sur desktop, les publicitaires cherchent donc à proposer de nouveaux modèles de publicité en ligne. Plus immersives, moins agressives, les publicités de demain devront s’intégrer pleinement au canal ou au média sur lequel elles se trouvent. Comme Google qui a intégré directement les résultats payants à sa liste de résultats organiques, Snapchat intègre petit à petit des vidéos 360° sur mobile, ou Instagram avec des publicités très visuelles et immersives. Le « native advertising » continue donc d’avoir le vent en poupe et reste populaire auprès des mobinautes et internautes. La publicité native permet d’une part aux utilisateurs d’avoir une expérience de navigation plus agréable et d’autre part pour les publicitaires de voir leur annonce directement intégrée au fil des utilisateurs ciblés. Enfin, la publicité native offre un meilleur taux d’engagement vis-à-vis du display.
Pour conclure, nous observons donc une augmentation importante du nombre d’AdBlockers installés depuis des terminaux mobiles, notamment en Asie. Encore peu populaire et répandu en Europe et en Amérique du Nord, les usages ne sauraient tarder à évoluer étant donné le sentiment croissant d’insécurité et de lassitude des mobinautes face aux publicités sur mobile. Il s’agit également d’un défi lancé aux éditeurs de publicités qui devront redoubler d’imagination pour proposer des annonces de plus en plus originales et immersives. Un travail qui sera probablement effectué main dans la main avec des UX designers, puisqu’il s’agit aujourd’hui de placer l’utilisateur au centre du système et de le rendre sinon publiphile, d’éviter de le rendre publiphobe !