L’industrie du luxe a connu ces dernières années de nombreuses évolutions. De son avènement dans le digital, le rajeunissement de ses clients, aux expérimentations pour vendre autrement et proposer une approche plus éthique et responsable… la conquête du métavers serait-elle son prochain terrain d’innovation ?
Le luxe : à la conquête d’un nouveau monde virtuel ?
Le “métavers”, voilà un mot bien à la mode. Si ce terme pouvait être déjà familier pour les plus connectés d’entre nous depuis quelques années, ce n’est que récemment qu’il a été véritablement popularisé. Il reste néanmoins un concept demeurant encore assez flou pour une large part du grand public.
Le métavers renvoie à un univers virtuel, immersif et partagé. Ce terme regroupe en réalité une diversité de technologies et de mondes virtuels interactifs, tels que la vidéoconférence, les jeux vidéos, le live-streaming ou encore les cryptomonnaies. La manière dont ces divers types de métavers s’imbriqueront les uns aux autres reste encore à préciser, mais pour certains, nul doute : le métavers est l’avenir de la communication et des interactions humaines.
Après les grands acteurs du numérique, tel que Meta (anciennement Facebook), on voit que c’est désormais au secteur du luxe de s’y intéresser de près.
Le visiteur est invité à plonger, via son avatar 3D, dans un voyage virtuel en huit tableaux narratifs. Il parcourt alors ces tableaux oniriques retracant la naissance de l’eau de parfum, du Château où Christian Dior aurait pensé le parfum, à son bureau, jusqu’à la boutique de l’avenue Montaigne où le visiteur découvre enfin le produit final et peut l’acheter.
La marque Balenciaga a été l’une des premières à se lancer dans l’expérience du métavers. En septembre dernier, la maison a lancé une collection exclusive pour Fortnite, le célèbre jeu vidéo convoité par des millions de gamers, marquant ainsi le premier partenariat entre une marque de luxe et un jeu vidéo. Les joueurs pouvaient alors acheter des tenues numériques (des “skins”) inspirées de réelles pièces Balenciaga pour habiller leur avatar, ou encore tenter de remporter des défis en partant à la recherche de sneakers Triple S – modèle phare de la marque – cachés un peu partout dans le monde virtuel de Fortnite.
Depuis, de nombreuses marques de luxe ont emboîté le pas en collaborant à leur tour avec des entreprises de jeu vidéo ou acteurs de l’univers du métavers. Citons par exemple la maison Christian Dior qui, à l’occasion du lancement de son Eau de Parfum Miss Dior, s’est associée à la plateforme Ready Player Me, spécialiste d’avatars et univers métavers, pour proposer une expérience digitale immersive unique à ses clients. Le projet intitulé Miss Dior Immersive Journey mêle storytelling et e-commerce. Le visiteur est invité à plonger, via son avatar 3D, dans un voyage virtuel en huit tableaux narratifs. Il parcourt alors ces tableaux oniriques retracant la naissance de l’eau de parfum, du Château où Christian Dior aurait pensé le parfum, à son bureau, jusqu’à la boutique de l’avenue Montaigne où le visiteur découvre enfin le produit final et peut l’acheter.
De nombreux signes laissent à penser que le rapprochement entre le luxe et le métavers est parti pour durer. De nombreux acteurs du luxe s’emparent déjà d’équipes complètement dédiées à cet univers virtuel afin de s’organiser et d’explorer les opportunités marketing et commerciales. Toujours le groupe Balenciaga a par exemple ouvert un département entièrement dédié à ce monde parallèle.
Pourquoi les marques de luxe sont de plus en plus tentées d’investir ce monde virtuel, alors même qu’elles étaient les plus sceptiques à jouer le jeu du digital il y a encore quelques années ?
En mai 2021, un sac virtuel Gucci s’est vendu plus cher que sa version physique sur Roblox, une plateforme de jeux à l’origine prisée des enfants et des jeunes ados
La première raison de ce rapprochement, sans doute la plus évidente, est d’ordre économique. Les marques de luxe sont conscientes du potentiel que représente ce qu’on nomme déjà le “Web3”. Selon la banque américaine Morgan Stanley, les mondes virtuels, via les NFTs (jetons non fongibles) et les jeux, pourraient représenter un revenu supplémentaire de 50 milliards de dollars d’ici à 2030 pour l’industrie. En fait, on s’aperçoit que certains consommateurs sont même prêts à payer plus cher un produit dans sa version virtuelle que dans sa version réelle.
En mai 2021, un sac virtuel Gucci s’est vendu plus cher que sa version physique sur Roblox, une plateforme de jeux à l’origine prisée des enfants et des jeunes ados (4.115 dollars contre environ 3.400 dollars pour sa version physique). Cette importante transaction dans le métavers n’est sans doute qu’une première pour la griffe italienne qui depuis ne cesse de renforcer sa présence dans le Web3. Ces derniers mois, la maison a notamment ouvert un compte sur la messagerie Discord, fait l’acquisition d’un terrain sur The Sandbox (autre plateforme de jeu en ligne communautaire), s’est associé avec le rapport Snoop Dogg pour lancer un NFT et a renouvelé sa collaboration avec Roblox pour l’organisation d’un événement 100% virtuel sur dix jours.
Un autre exemple du potentiel économique du métavers est celui donné par la marque Dolce & Gabbana dont la Collezione Genesi, une collection entièrement virtuelle composée de neuf NFTs, s’est vendue au montant record de près de 5,7 millions de dollars.
Depuis toujours les marques de luxe accordent une place de premier plan à offrir une expérience unique et immersive à leurs clients. Telle est la promesse affichée également par le métavers.
La deuxième raison est la population que les marques de luxe peuvent toucher dans le métavers. En effet, pour une marque, s’installer dans un métavers c’est déjà profiter de son audience, et pas n’importe laquelle. Aujourd’hui, la majeure partie des personnes qui s’intéressent aux univers virtuels demeure encore une jeune génération sensible aux nouvelles technologies. Bien que les générations Z et Alpha ne soient pas encore la principale clientèle des marques de luxe (car n’ayant pas encore le pouvoir d’achat suffisant), elles le deviendront dans quelques années. Ainsi, utiliser ce canal pour entrer en contact le plus tôt possible avec ce public peut être une façon à la fois subtile et efficace de séduire cette audience. De plus, en les habituant à ces biens de luxe dans le monde virtuel, à travers des jeux ou en donnant parfois la possibilité de s’en accaparer, c’est aussi les familiariser avec ces produits et donc les inciter à reproduire ces habitudes de consommation dans le monde physique à l’avenir.
Une autre raison est sans doute à chercher dans les valeurs que partagent ces deux univers. Depuis toujours les marques de luxe accordent une place de premier plan à offrir une expérience unique et immersive à leurs clients. Telle est la promesse affichée également par le métavers : pouvoir entrer dans un monde totalement nouveau où la seule limite existante est celle de sa propre imagination. Ainsi, le métavers constitue un nouveau levier d’opportunités et un nouveau terrain de jeu pour les marques de luxe, à l’instar de Christian Dior, pour transporter son client et le faire rêver autour de ses produits.
L’infini du métavers n’est-il pas en contraction avec la notion de rareté si cher au luxe ?
La réponse à cette éventuelle problématique est apportée par les NFTs qui sont un composant essentiel des métavers.
Les NFTs sont ces actifs numériques pouvant être achetés, utilisés, revendus dans le monde virtuel. La “non-fongibilité” signifie qu‘un NFT est unique et non interchangeable. Cette caractéristique des NFTs est donc essentielle car c’est elle qui transmet la rareté de l’actif associé. Et là encore, n’est-ce pas justement le but recherché par les marques de luxe ? Faire des pièces uniques, ne pouvant se comparer les unes aux autres ?
Nous voyons donc que bien des raisons expliquent le rapprochement entre le luxe et le métavers. Expérience, rareté, exclusivité et bien-sûr, possibilité de faire d’importants profits.
Une autre caractéristique importante des NFTs est leur signature numérique. Un NFT code et sécurise de manière cryptographique toutes les informations liées à l’actif, notamment les données relatives à l’identité, la propriété, l’historique de l’actif…. Concrètement, une marque de luxe souhaitant s’insérer dans le métavers pourra associer un de ces produits à un NFT. Ce dernier devenant dès lors, l’incarnation du produit dans le monde digital. Ces tokens sont ainsi à la fois une preuve d’achat et une preuve d’authenticité du produit pour le client.
Les NFTs sont donc un véritable atout pour le secteur du luxe. Les acteurs de l’industrie ont toutefois conscience qu’il faudra accompagner les marques à l’usage de ces nouveaux certificats numériques. Le groupe LVMH annonçait en avril dernier s’associer avec Prada et Cartier (groupe Richemont) pour former la “première blockchain de luxe internationale”. L’objectif de cette plateforme nommée Aura Blockchain Consortium est de couvrir et sécuriser l’intégralité du cycle de production et de consommation d’un produit de l’industrie du luxe. Autrement dit, avec Aura, les produits ont donc le droit à une sorte de passeport. L’idée semble séduire puisque d’autres maisons de luxe ont depuis rejoint le consortium, tels que le groupe OTB (Diesel, Maison Margiela, Marni…) ou la maison Hennessy.
Nous voyons donc que bien des raisons expliquent le rapprochement entre le luxe et le métavers. Expérience, rareté, exclusivité et bien-sûr, possibilité de faire d’importants profits.
Néanmoins, tout mariage n’est pas tout rose et des défis seront encore probablement à relever.
L’un des premiers défis est celui de la contrefaçon. Qui dit objets virtuels, dit également la possibilité – plus ou moins aisée – de les reproduire sans même avoir besoin de matériaux ni d’une main d’œuvre qualifiée. La maison Hermès est l’une des premières à en avoir fait les frais. L’artiste américain Mason Rothschild, a lancé un projet nommé MetaBirkins dont l’ambition était de revisiter le célèbre sac Birkin dans le métavers. Il a alors créé une centaine d’œuvres numériques (sous forme de NFTs) puis les a mises en vente sur OpenSea, une marketplace pour les NFTs. Un projet qui s’est avéré lucratif pour l’artiste puisqu’il lui a permis d’empocher plus de 800 000 dollars. Or, cette opération s’est réalisée sans l’accord, ni même informations faites à Hermès. Le maroquinier a très vite réagi en déposant plainte dénonçant une spéculation faite sur de “faux produits Hermès”.
Le métavers demeure encore un monde en pleine émergence où des questions, notamment juridiques, restent encore à résoudre. Mais une chose est sûre, parmi les acteurs qui participeront aux fondations de ce nouvel espace parallèle, l’industrie du luxe en sera l’un des principaux.