Le multitasking, ou comment aggraver votre stress

Ce phénomène nous le connaissons tous. Avalanches d’emails, de SMS, d’alertes et de notifications diverses et variées. Bref trop, c’est trop. Nous sommes en permanence bombardés d’informations par le biais de nos ordinateurs et de nos smartphones. Mais quelles sont les conséquences du multitasking ?

Pour s’en rendre compte, on peut effectuer une première expérience qui dure 5 minutes. L’objectif principal est de résoudre le plus d’exercices de calcul possible tout en faisant tourner une toupie en permanence. Dans le même temps il faut également reconnaitre des sons et répondre à des appels téléphoniques, à des emails et à des SMS. Evidemment, pendant ces 5 minutes, les sujets de cette expérience sont totalement débordés. Comment réussir cet objectif quand on vous déstabilise autant avec tant de notifications de part et d’autre ? Ce genre de constatations se retrouvent également dans la pratique du télétravail. Mais cela peut aussi arriver au bureau avec des collègues qui frappent à la porte. Et là l’expérience ne dure que 5 minutes, si cela durait une journée entière, cela serait bien pire.

D’ailleurs, puisqu’on parle de multitasking, il parait que les femmes sont plus douées que les hommes pour accomplir plusieurs taches à la fois. Mais en vérité il s’agit d’un mythe. Tout est une question d’entrainement. Le test précédent a été effectué sur des hommes et des femmes et aucune différence n’a été relevée selon le sexe de la personne.

Il faut analyser les résultats de cette première expérience. Les sujets ont souvent l’habitude de répondre à plusieurs sollicitations en même temps. De manière général, les sujets arrivent assez bien à gérer le cumul des tâches. Les observations qui découlent de cette expérience sont très intéressantes. Par exemple, un sujet a effectué 12 calculs sans faire de fautes. Tandis qu’un autre a effectué 20 calculs mais avec 3 fautes. Les chercheurs appellent cela le compromis vitesse/précision. Il existe des personnes qui sont très précises et qui travaillent un peu plus lentement. Ou au contraire il existe des personnes qui travaillent très vite et qui commettent des erreurs de temps en temps. Autre remarque : certains sujets ont négligé la toupie. Cela illustre le fait que les tâches de surveillance en arrière-plan ont tendance à être vite oubliées lorsqu’on se concentre sur autre chose. Ensuite, lorsque le téléphone sonne, certains sujets ont décroché de façon quasi automatique, sans réfléchir. De nos jours, les sons émis par nos portables ont presque autant d’importance que l’appel de notre propre nom. Quand on entend son nom on sursaute, on est tout de suite attentif peu importe ce que l’on est en train de faire.

Mais où en est la recherche sur les effets du multitasking ? En laboratoire, on se rend très bien compte que les contraintes liées au multitasking provoquent un stress physiologique. On peut également observer l’élévation du rythme cardiaque et l’augmentation de la sécrétion de cortisol.

Réaliser plusieurs taches à la fois demande donc une grande concentration. Pour le cerveau c’est un sacré défi. Autrefois, le cerveau humain pouvait sans difficulté traiter la plupart des stimuli. Mais avec le temps, les défis se sont accrus pour notre organe de la pensée. Avec les médias électroniques, les informations nous arrivent à un rythme de plus en plus effréné. Dans notre monde numérique hautement connecté, notre cerveau est souvent exposé à un ras de marrée de stimuli. En situation normale, lorsqu’un stimulus nous parvient, il est traité par le cerveau qui se consacre ensuite au stimulus suivant. Une situation désormais très rare. La neuroscientifique Yana Fandakova tente de déterminer comment notre cerveau fait face lorsqu’il doit jongler en permanence avec des tâches multiples.

Dans une autre expérience, des volontaires doivent effectuer des exercices complexes en un temps limité. Ils doivent distinguer 9 caractéristiques pour chacune des figures qui apparaissent à l’écran et leur attribuer la bonne caractéristique en appuyant sur différentes touches. La scientifique entend ainsi reproduire des situations auxquelles nous sommes quotidiennement exposés dans notre vie professionnelle, mais aussi durant notre temps libre : l’enchainement de tâches différentes a un rythme soutenu. Avec cette expérience, on commence par tester la vitesse à laquelle les sujets s’acquittent des tâches simples. Ils doivent ensuite prendre en compte de plus en plus de caractéristiques (par exemple la forme, la couleur ou le motif) a un rythme rapide. Dans ces situations notre cerveau doit bien distinguer les différentes actions. Nous avons peut-être l’impression d’agir de façon plus ou moins automatique, mais en réalité notre cerveau travaille très dur en arrière-plan. Les sujets de cette expérience passent également un scanner afin de déterminer quelles zones cérébrales sont activées pendant l’exécution de tâches complexes. Réponse : c’est le lob frontal qui est le plus sollicité. Cette partie du cerveau se trouve à l’avant de la tête, au niveau du front. C’est en quelque sorte l’organe qui attribue les ressources nécessaires à telle ou telle tâche. Lorsque plusieurs tâches doivent être réalisées en même temps, cette partie du cerveau est très sollicitée. Elle doit être particulièrement performante pour que les différentes tâches soient effectuées dans le bon ordre.

Dans une autre expérience, il s’agit de mémoriser plusieurs associations de visages et de lieux qui défilent à un rythme soutenu. Plus les tâches sont complexes, plus il faut de temps au sujet. Un ralentissement également visible au niveau du lob frontal. Lorsqu’on observe un ralentissement, il va le plus souvent de pair avec l’activation du cerveau. Lorsque la tâche est très ardue et que le sujet ralentit ou fait davantage d’erreur, on note une activation particulièrement forte de cette partie du cerveau.

Lorsque le cerveau traite constamment les mêmes informations, les actions devenues familières s’enchainent plus vite. Mais lorsque des informations différentes se succèdent à toute vitesse, le cerveau a besoin de plus de temps pour les traiter. En outre, il arrive qu’une information soit mal interprétée. Plus la cadence est rapide, plus le cerveau est susceptible de commettre des erreurs.

A cette grande quantité de stimuli s’ajoute le fait que les différentes tâches se font de la concurrence. La personne est distraite. Chacun de nous a connu pareille situation et ce n’est agréable pour personne. On sait que dans ce genre de cas on commet davantage d’erreurs et on répond plus lentement. Lorsqu’on se concentre sur une tâche et que l’on est distrait par une nouvelle tâche, la première doit passer au second plan. Le cerveau doit d’abord analyser cette nouvelle tâche avant de s’y consacrer. Un processus très gourmand en énergie.

Quant aux enfants et adolescents nés dans ce monde hyperconnecté, ils sont confrontés au quotidien à des changements constants et ont un accès plus rapide aux nouveautés. Mais sont-ils pour autant capables de s’acquitter des mêmes tâches plus vite que les adultes ? Grâces à plusieurs études, on sait que les enfants ont besoin de plus temps pour répondre à ce genre de situation. Et ils font plus souvent des erreurs que les adultes.

Lorsque les tâches s’enchainent rapidement, le lob frontal est particulièrement sollicité, mais moins chez l’enfant que chez l’adulte. Comme le lob frontal se développe jusqu’à 20 ans, les enfants ne sont pas encore en mesure de passer d’une tâche à l’autre aussi vite que les adultes. Quant à l’impact de ces sollicitations multiples sur le développement du cerveau, il faudra encore au minimum 10 ans aux scientifiques pour y voir plus clair (le temps que les enfants ayant grandi avec des smartphones/tablettes soient adultes).

A l’heure de la révolution numérique et des innovations technologiques qui l’accompagnent, notre cerveau a parfois bien du mal à suivre. Mais il existe des stratégies pour aider notre cerveau à gérer plusieurs tâches à la fois. On peut s’entrainer au multitasking. Jongler entre plusieurs tâches est plus facile si on s’exerce sur plusieurs jours, sur plusieurs séances. Cela demande moins d’efforts même si l’exercice garde le même niveau d’exigence. En revanche, aussitôt qu’on introduit de nouvelles tâches, la difficulté revient. Cela veut dire que la souplesse peut se travailler dans le domaine où elle est nécessaire. Mais on ne peut pas vraiment la transposer à d’autres domaines d’activité. En s’entrainant on peut donc diminuer le stress lié à certaines tâches. La tâche devient alors moins pénible et le stress s’atténue de même que la fatigue.

Nous recevons tous quotidiennement des dizaines de tâches, de mails, d’informations diverses et de SMS. Chaque jour, le stress numérique est partout : au travail mais aussi à la maison. Il faut être conscient d’une chose : cette technologie nous est tombée dessus si vite que nous n’avons pas tous pu apprendre à nous en servir avec la mesure nécessaire. Il vaudrait mieux faire appel plus souvent à notre mémoire car notre cerveau a besoin de cela pour rester en bonne santé, explique Volker Busch, chercheur en neuroscience. Selon lui, il existe des échappatoires au surmenage que nous subissons. Une stratégie consiste à prendre les choses l’une après l’autre. C’est surtout au travail que notre cerveau est confronté à de nombreuses sollicitations simultanées. Un stress durable peut alors s’installer et s’avérer à terme contreproductif. Si on veut se montrer suffisamment performant dans ce que l’on fait, il faut savoir faire preuve de discipline et rester concentré sur une seule tâche. A long terme on est alors récompensé par un taux d’erreurs réduit et une meilleure efficacité.

A force de travailler et d’être connecté en permanence, nous oublions souvent une chose très importante : faire une pause. De nos jours, moins d’une personne sur quatre prend régulièrement sa pause. Cela veut dire que la majorité des gens est prête à y renoncer parce qu’elle pense avoir trop à faire. S’aménager des pauses régulières est pourtant indispensable. Planifier des plages de détente de manière disciplinée et s’y ternir est primordial. Le mieux est de s’arrêter 10 à 15 minutes toutes les 2 heures. En effet, lorsqu’on lève le pied, un système très spécial s’active dans le cerveau : les chercheurs l’appellent le réseau du mode par défaut. Ce réseau est tout sauf inactif car c’est quand l’esprit est au repos qu’il se met à fonctionner à plein rendement. Les informations acquises pendant la phase d’activité sont ainsi enregistrées, triées et réorganisées. En clair, accorder à notre cerveau ces petites pauses régulières dans notre quotidien nous donne toutes les chances de traiter correctement les informations vues et apprises. Le cerveau fait cela de lui-même : tout ce qu’il faut faire c’est de ne pas le surcharger de stimuli en permanence. L’idéal pour se faire c’est la déconnexion totale. Surtout le soir, une fois la journée de travail terminée. On peut par exemple s’aménager du temps loin de tous les outils de communication. L’ennui, c’est qu’il nous est justement difficile de nous en priver totalement…

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