Design fiction : immersion dans les Jeux d’Auckland 2052

Nouvelle-Zélande, 2052. Le pays est en ébullition. Il s’apprête à inaugurer la 48ème édition des Jeux Olympiques. L’événement a pris un tour nouveau depuis l’été 2048, avec la fusion des Jeux Olympiques et Paralympiques. Dans moins de deux heures, une flamme holographique de quatre mètres de haut éclairera la capitale, officialisant le début des jeux.

Depuis 8 ans, la Nouvelle-Zélande prépare l’arrivée des athlètes et des touristes du monde entier. La ville s’est transformée. A l’est de Parnell, dans le quartier de Mission Bay, les kiwis qui flânaient le long du port Waitemata passent désormais devant l’un des douze nouveaux complexes sportifs. Le Grand Stadium, recouvert d’un dôme transparent, surplombe le front de mer. Ses spectateurs peuvent contempler le ciel, et s’y abriter quand le mercure avoisine les 50 degrés celsius. Avec plus de 120 000 sièges et près d’un million de places immersives, la structure est une prouesse architecturale. D’un blanc absolu, sa forme épouse celle des vagues environnantes.

J’observe avec fébrilité l’agitation dans les rues de celle que l’on surnomme la City of Sails, ma ville. Je devrais sans doute m’entrainer encore, mais je profite de ces dernières heures pour m’assurer une fois de plus que mon matériel est bien connecté, prêt à concourir. Depuis plus de dix ans, le laser tag fait partie des cinq nouvelles épreuves olympiques avec le crossfit, le Red Bull’s League of Legends, le kinball et le parkour.

Le laser tag est un sport tactique. Bien que je le pratique depuis mon plus jeune âge, le jeu n’a cessé de s’intensifier. Aujourd’hui, un joueur professionnel ne doit faire qu’un avec son arme, et avec son équipe. Demain, c’est avec elle que je représenterai la Nouvelle-Zélande au poste de tireur.

Toute ma famille s’est déplacée pour l’occasion. Le NewZ-express leur permet de rejoindre Auckland depuis Christchurch à travers le Pacifique en trente minutes à peine. Mes proches m’ont toujours soutenu, mais ils n’auraient pas parié sur ma sélection. Comment leur en vouloir ? Rares sont ceux qui auraient vu un aveugle participer à un tournoi du laser tag pendant la 48ème édition des Jeux Olympiques !

C’était l’automne dernier, à cause d’un accident de la route. Personne n’a été tenu pour responsable : ni moi, ni la voiture qui me percuta.

Les progrès de la science sont inouïs. Il y a trente ans, les recherches d’Eduardo Fernandez, neuro-ingénieur à l’université Miguel-Hernandez, ont fait des miracles. Son premier implant cérébral avait permis à un patient de de recouvrer la vue pendant six mois. Aujourd’hui, ces implants sont opérationnels. Il n’y a plus à craindre que le système immunitaire y voit un corps étranger et ne les rejette. Bien qu’extrêmement coûteuse, je tenais à subir cette ORCA (Opération Robotique Chirurgicalement Assistée). Aujourd’hui, je suis fier d’avoir eu courage de prendre cette décision !

Jack. C’est le surnom que j’ai donné à mon implant. Grâce à lui, je concoure dans la catégorie tireur « Jeune Espoir ». Demain, lui et moi, nous avons une victoire à emporter. Une victoire olympique.

Jour-J. 15 minutes avant le début de l’épreuve. J’y suis. Autour de nous, l’ambiance est électrique. Bien plus que je ne l’avais imaginé. L’équipe s’est retrouvée dans le grand ouest, près du 8ème complexe sportif, situé dans les moyennes montagnes du Waitakere Regional Park. J’ai hâte de découvrir le décor virtuel qui nous attend pour ce premier duel contre la Géorgie. Une équipe redoutable, connue pour l’agressivité de ses offensives. Il va falloir être aux aguets.

5 minutes. Les secondes s’allongent. Dans quelques instants, je serai plongé dans l’arène. L’objectif de la matinée est simple : éviter les attaques, mettre en œuvre les tactiques répétées à l’entraînement et surtout, désamorcer leurs casques virtuels avant qu’ils ne s’en chargent. Pour nous, tireurs, le laser est intégré à notre gant. Toute la précision du tir tient à notre doigté. L’arme est le prolongement de notre avant-bras. Les éclaireurs de l’équipe, eux, disposent eux d’une protective bubble, conçue pour se protéger des tirs opposés. Leur rôle : détecter la zone de désamorçage, en restant le plus discret possible.

2 minutes. Mon pouls s’accélère. Je suis toujours anxieux avant un match. Même si Jack est un précieux allié, les incidents sont vite arrivés. En plus, il a beaucoup de mal à se coordonner avec le casque du jeu. J’inspire calmement, je pense au paysage qui m’entoure. Nous sommes au cœur de la forêt de Titirangi, à quelque pas des plages de sable noir qui ont bercées ma jeunesse.

Le gong retentit. Nos maillots connectés se mettent à vibrer. Nous enfilons nos masques et réajustons nos gants. Nous découvrons l’univers de la première manche : une île désertique. De l’eau surgit partout autour de nous. Je n’avais jamais mis les pieds sur une île auparavant. Mon grand-père, lui, les connaissait bien : il avait l’habitude de voyager aux Maldives. Aujourd’hui, l’intégralité des terres de l’archipel ont été englouties, conséquence directe de la chute des glaces en Antarctique et au Groenland. Les gouvernements tentent de contenir le réchauffement climatique, et des éco-villes émergent dans les les océans du monde entier pour héberger les anciens insulaires…

Première étape : trouver une planque pour les tireurs, seuls capables de protéger notre zone de désamorçage. Mais sur ce terrain, les obstacles et les forteresses naturelles sont rares. Au loin, je repère de vieilles maisonnettes sur pilotis. Les tireurs se mettent en route. Je ferme la marche. Tout à coup, l’équipe adverse surgit de derrière les palmiers et tente de nous faire reculer. Il nous faut à tout prix rejoindre ces habitations au plus vite : « Courez jusqu’aux maisons, je m’occupe de distraire les… ». Avant même d’avoir fini ma phrase, me voilà face à face avec un tireur adverse. Il tire.

Face au sol, je tente de rester immobile. Je ne vois plus rien. Le laser ennemi m’a touché en pleine tête : les ondes ont dû endommager ma prothèse rétinienne. Difficile d’établir une connexion avec Jack. Un vent de panique s’empare de moi. Déconnecté du plateau comme de la réalité, je tente de réfléchir.

Ma famille assiste à l’événement. Ils sont au cœur du Centre Business District (CBD) dans la Fanzone principale. Un espace de rediffusion à 360 degrés borde Aotea Square. Il permet aux millions de touristes de se plonger virtuellement dans les épreuves pour supporter leurs équipes favorites. Le noir de ma caméra embarquée projeté sur les écrans ne doit pas les rassurer. Sur les digiboards des bookmakers, la côte de notre équipe grimpe en flèche.

Je me relève tant bien que mal pour rejoindre mon équipe. Les bruits environnants guident mes pas. Mon instinct me somme de marcher vers l’est. Je dois être vigilant : je ne suis plus sur le plateau virtuel mais au beau milieu de la forêt de Titirangi. Jack tente de relancer le système tant bien que mal. En avançant, j’entends le speaker prononcer mon nom : il doit être surpris que je sois toujours debout. Jack est toujours là, car mes autres sens se sont adaptés à ma perte de vision. Mon odorat m’aide à me repérer : grâce à l’humidité ambiante, je détecte un cours d’eau. Au loin, j’entends des échanges de tirs laser.

Après avoir traversé la rivière, de nouveaux bruits de pas autour de moi. J’exécute alors notre signal de reconnaissance : deux claquements de doigts, puis trois légers sifflements.

J’attends une réponse, en prenant appui sur un arbre. Quelques secondes passent. Les bruits de pas s’intensifient. Caché derrière l’arbre pour éviter de potentiels tirs adverses, je réitère : deux claquements de doigts, puis trois légers sifflements… La réponse aurait dû arriver. Les pas se rapprochent encore. Je tente une dernière fois le signal. Mon rythme cardiaque s’emballe, quand soudain… deux sifflements et trois claquements de doigts résonnent ! Je reconnais mon capitaine. Il m’attrape par le bras sans un mot, comme pour me demander des nouvelles. Je lui réponds en murmurant : « Je vais bien, mais mon implant est endommagé, et je ne vois plus rien. Combien de temps reste-t-il ? Combien de pertes ? ».

Il m’informe que nous ne sommes que nous deux, avec 3 minutes de jeu restantes. D’après lui, tous pensaient que j’étais sorti faire réparer mon implant, mais celui-ci n’ayant pas été totalement déconnecté, la règle m’imposait de rester sur le terrain. J’apprends également qu’il ne reste plus qu’un Géorgien, montant la garde devant leur drapeau.

Je bidouille les entrées de communication pour me reconnecter avec Jack. Le plan est simple : le capitaine va tenter une percée pour faire diversion. C’est à ce moment précis que je devrai agir.

1 min avant l’assaut. Et une minute trente avant la fin du match. Je suis en position. Jack, bel et bien de retour, m’informe par signal que je devrai couper ma vision pendant la prochaine minute pour ne pas endommager les connecteurs rafistolés avec les moyens du bord.

20 secondes avant l’assaut. J’ai coupé la transmission visuelle. Il ne reste que quelques instants avant notre ultime tentative. Je relance ma vision, pas d’image…

10 secondes avant l’assaut. Jack tente de relancer le système. Cela ne suffira pas, le temps file…

C’est le moment. J’entends mon capitaine se tirer vers l’ennemi, qui riposte quasi-instantanément. J’entends un hurlement. Jack parvient à rallumer le système. La connexion étant rétablie, je peux voir l’ennemi sourire après l’élimination du capitaine. Je regarde à mon tour dans le viseur. Je retiens ma respiration, et j’appuie sur la détente.

Je relâche ma respiration, et le gong retentit pour la dernière fois. Ma vue s’en est allée à nouveau. Impossible de savoir si mon tir a atteint sa cible. La foule crie, le match est fini. J’entends comme un murmure, une voix familière m’appelle…. C’est le capitaine ! Il m’apprend que j’ai atteint ma cible et qu’il a réussi à s’emparer du drapeau. La Nouvelle-Zélande est championne olympique !

C’est le soir. Je sors de la cabine médicale, soulagé. C’est toujours exaltant de recouvrer la vue, même si cette dernière ne s’est pas évadée pendant bien longtemps. Depuis l’accident, j’ai tendance à imaginer le pire… Mais aujourd’hui est un jour spécial : un jour de victoire !Je ne vais certainement pas me laisser abattre, surtout après les prouesses de Jack.

Je me dirige vers le CBD, où ma famille attend. Les athlètes sont escortés depuis le 8ème complexe sportif. Auckland est transformée. La foule prend place envahit les rues du centre. Chacun porte fièrement ses couleurs : des drapeaux aux filtres bio-technologiques activés via des puces RFID sur les visages. L’heure est à la fête. Des food trams arpentent les ruelles du CBD. Nous nous sommes donnés rendez-vous à l’angle de Queen Street et Dr Mayoral Street, à quelque pas du parc Myers. Je regarde l’affichage holographique du tramway 7.2, il ne devrait plus tarder. Ça tombe bien : je meurs de faim.

« Tu as été sensationnel ! ». Joshie est la première à me sauter dans les bras. Ma sœur a toujours été la plus enjouée de la famille, et elle contient difficilement sa bonne humeur. Je partage avec fierté son accolade.

Le long du food tram, le choix est cornélien. Chaque rame affiche une spécialité différente, et tout à l’air succulent ! « Anthills » est un corner dédié aux insectes ; ici, tous les plats font honneur à une espèce. Ma sœur se laisse volontiers tenter par des tortillas aux criquets, et ma mère, qui a toujours adoré la cuisine asiatique, craque pour une salade de papaye aux vers à soie. Le second corner sent divinement bon : je reconnais immédiatement l’enseigne « Garden Gourmet ». Des burgers 100% véganes aux steaks végétaux. Malheureusement pour mon père et moi, une large file d’attente se forme devant nous. Nous optons finalement pour « Ahimi », une spécialiste de la cuisine moléculaire tunisienne.

Nos repas sous le bras, direction le parc Myers. Les habitudes ont la vie dure à Auckland, et une majorité de la population a également décidé d’y pique-niquer. Mais le spectacle continue : ma sœur et moi projetons les épreuves du soir depuis nos montres connectées. L’équipe du Québec, devenu indépendant en 2034 – deux cents ans après la naissance de Jean le Baptiste, affronte la Catalogne en Kinball pour la médaille d’or. Un groupe de québécois assis à côté de nous, se joint à la projection. Le kinball se joue avec un ballon télescopique et trois équipes de quatre. Le but : servir le ballon à l’une des équipes adverses pour les déstabiliser avant qu’ils n’aient le temps de le récupérer. Si le ballon touche le sol, le point va aux adversaires. Peu après, le gong retentit. Victoire du Québec ! Nos voisins ont du mal à dissimuler leur joie, tandis que ma mère s’amuse gentiment de leur accent.

Je m’allonge un moment dans l’herbe. Formant un lit naturel, les brins épousent mon corps à la perfection. Les murs végétaux des bâtiments autour de moi me replongent dans l’arène. Je me revois au cœur de l’île. Je repense à mon grand-père.Le monde n’a cessé de se transformer depuis ma naissance. Des peuples se réunissent en pays nouveaux, chaque mois ou presque. Le mouvement et la diversité qui nous entourent sont des cadeaux du ciel. Et si le monde bouge, certaines choses restent intactes. Comme les Jeux. Depuis l’Antiquité, les Hommes s’affrontent. Je ne saurais mesurer exactement l’importance de ce rituel sur le développement de notre espèce. Je ferme les yeux. Vivement la 49ème édition.

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